CENTRE INTERNATIONAL EN AFRIQUE DE FORMATION DES AVOCATS FRANCOPHONES, CIFAF
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LEPOUVOIRARBITRALDUBATONNIER1
Par
Me KAYUDI MISAMU COCO
Bâtonnier de l’ordre du barreau
de KINSHASA /MATETE
5- 6 DECEMBRE 2016
YAOUNDE /CAMEROUN
La profession d’avocat est pour des raisons tirées de son histoire qui se confond parfois et sous d’autres cieux avec celle de la justice organisée traditionnellement en barreaux établis auprès de chaque tribunal de grande ou première instance ou Cour d’Appel selon le cas .
Chaque barreau est administré par son conseil de l’ordre qui est présidé par un bâtonnier.
- CONSIDERATIONS LIMINAIRES
Dans son ouvrage, « Déontologie de l’Avocat », pages 153 à 159 , 11 ème édition parue chez Lexis Nexis en 2013 ,Raymond Martin écrit : « Primitivement le chef de l’ordre des avocats était le doyen, non le doyen d’âge mais le plus ancien dans l’ordre . Le titre de bâtonnier apparait au XIV ième siècle, il est donné au prieur de la confrérie de saint Nicolas, Association religieuse qui rassemblait avocats et procureurs, parce que celui-ci portait le bâton ou bourdon dans les processions. Il partageait ce titre avec les prieurs des autres confréries. Ce prieur bâtonnier devait au cours des temps supplanter le doyen » .
L’auteur poursuit : « lors de la reconstitution de l’ordre sous le premier empire, l’appellation de bâtonnier fut confirmée » pour nommer le chef de l’ordre. Il était présenté par le procureur général sur une liste présentée par les anciens de l’ordre.
C’est à partir de 1830 que le bâtonnier fut élu par l’Assemblée Générale des avocats avec une éclipse sous le second empire .Cette élection par ses pairs modifiait la nature du bâtonnier. Il cessait d’être le chef de l’ordre pour devenir « Primus inter pares » .
A ce titre, nombre de législations disposent que « le conseil de l’ordre est présidé par le bâtonnier »et réaffirment la règle selon
laquelle « le bâtonnier représente le barreau dans tous les actes de la vie civile » et qu’ « il prévient ou concilie les différends d’ordre professionnel entre les membres du barreau et instruit toutes les réclamations formulées par les tiers » : magistrats ou justiciables.
Il sied à cet égard de relever que les dispositions consacrées au bâtonnier n’englobent pas toujours et de loin, toutes les fonctions dévolues à celui-ci et qu’il convient de chercher si souvent dans des nombreuses dispositions éparses disséminées à travers les lois , décrets et règlements.
- LE BATONNIER ET SES POUVOIRS
Comme on le voit, le bâtonnier assure, plus largement la direction morale et matérielle du barreau, sans préjudice de l’autorité attachée à la fonction d’autorité de poursuite disciplinaire qui lui est naturellement et quasi incontestablement reconnue. Plus séculairement, il délivre une admonestation « paternelle » en cas de léger manquement aux règles professionnelles ou saisit le conseil de discipline en cas de manquement grave.
Concrètement, le bâtonnier dispose des pouvoirs propres (2) et ceux qu’il partage avec le conseil de l’ordre(1).
- 1. Le bâtonnier et le Conseil de l’Ordre
A la vérité, le bâtonnier parait avoir une nature double : d’une part, il apparait comme l’exécutif du Conseil de l’Ordre qu’il préside, d’autre part il représente l’ordre et détient de ce fait des pouvoirs propres.
De manière générale, le bâtonnier saisit le conseil de l’ordre de toutes réclamations provenant d’un avocat contre une décision de ce conseil, d’une demande d’inscription au barreau, d’une
demande de stage. Pour tout dire, il se doit de transmettre au conseil de l’ordre toutes demandes qui lui parviennent et qui sont de la compétence de ce conseil.
On peut observer à ce sujet, écrit Raymond Martin, que les règlements intérieurs des barreaux ont tendance à attribuer littéralement au bâtonnier des compétences appartenant au conseil de l’ordre .Il faut y voir un raccourci commode, sous en tendant par-là que le bâtonnier sert de relais au conseil de l’ordre.
Il y a lieu de relever que le bâtonnier dispose d’un pouvoir de représentation certes. Mais son rôle est bien au-delà du cadre juridique étroit que constitue le mandat .Il apparait aux yeux du public et des autorités comme le représentant, au sens commun du mot, du barreau, avec la stature morale que cela lui confère.
Cette représentation n’est pas que protocolaire au sens qu’il occupe dans les manifestations intéressant le barreau, le premier rang .Elle implique que le bâtonnier soit le porte-parole du barreau, et au-delà du barreau, de l’ensemble des avocats.
Il exprime les valeurs de la profession, quand il convient de le faire.
- Les pouvoirs propres du bâtonnier
Trois pouvoirs méritent d’être mis en exergue relativement à la communication (A), à la gestion de l’ordre (B) et au règlement des différends (C).
A .SUR LA COMMUNICATION
Le droit de regard qui lui est reconnu implique que le bâtonnier est informé de tout recours formé contre les décisions du conseil de l’
l’ordre par l’avocat ou le procureur général quelle que soit la matière (élection, sanction disciplinaire, refus d’admission, etc ).
Il va de soi qu’il est informé des décisions rendues sur recours par la juridiction d’appel (Cour d’Appel ou Conseil National de l’Ordre selon le cas).
La loi du 11 février 2004 en France, a fait du bâtonnier l’organe de poursuite devant le conseil de discipline régional. Le bâtonnier reçoit les déclarations de soupçons de blanchiment d’argent et sert d’intermédiaire avec la cellule TRACFIN.
Son droit de regard s’exerce sur les activités des avocats du barreau pour prévenir ou résoudre des incidents. A ce titre il peut demander à un avocat de lui communiquer sa comptabilité ou des comptes relatifs à une affaire. Il doit être informé notamment des actions en responsabilité dirigées contre les avocats de son barreau si tant est que de telles actions mettent en jeu l’assurance collective et elles peuvent révéler une faute disciplinaire ou si l’Etat confie une mission temporaire à un avocat.
Le contrôle du bâtonnier sur les avocats n’appartenant pas à son barreau quand ceux-ci exercent leurs activités dans le ressort du barreau.
- SUR LA GESTION DE L’ORDRE
Le bâtonnier représente le Conseil de l’Ordre et exécute ses décisions, assure la gestion quotidienne du barreau. Il engage le personnel salarié, exécute le budget, organise et surveille les services offerts aux avocats et au public.
Jean Jacques TAISNE rappelle dans son ouvrage « la déontologie des avocats » 8 ème édition, 2013 ,Dalloz,P20, « sur deux points le
bâtonnier fait fonction de juge de première instance lorsqu’en l’ absence de conciliation il arbitre à charge devant la Cour un conflit entre avocat employeur et avocat salarié ou plus généralement depuis la réforme du mois de mai 2009 un différend entre avocats à l’occasion de leur exercice professionnel ; lorsqu’il apprécie à charge de recours devant le premier président d’une contestation d’honoraires ou un litige relatif à une restitution de pièces ».
Enfin, le bâtonnier procède aux désignations au titre de l’aide juridictionnelle et aux commissions d’office. Ubi honor ibi unus.
- SUR LE REGLEMENT DES DIFFERENDS
La loi organique sur le barreau en RDC, comme le règlement 005/UEMOA sur l’exercice de la profession dispose que le bâtonnier représente le barreau, il veille à la discipline de tous les avocats concilie les différends et assure le bon fonctionnement du conseil de l’ordre.
Il s’évidente que le bâtonnier a un rôle général de prévention et de conciliation des différends qui s’élèvent entre confrères ou entre les avocats et leurs clients. Il a aussi traditionnellement pour rôle de régler les incidents et conflits entre avocats et magistrats ;
D’une façon générale, il est consulté ou devrait l’être par les chefs de juridiction et d’office pour l’organisation des procédures de mises en état et de tenue des audiences. Au-delà, le bâtonnier détient de la loi un pouvoir de caractère juridictionnel comme arbitre obligé.
Il constitue la première instance des litiges entre avocats employeurs et avocats salariés, patrons de cabinets et collaborateurs et pareillement entre avocats et tiers pour la fixation des honoraires.
L’expérience de la République Démocratique du Congo à ce sujet, mérite d’être indiquée de par sa singularité qui participe au renforcement de l’indépendance, essentielle à l’exercice de la profession.
Il intervient également pour la restitution des pièces par l’avocat au client lorsque l’affaire est terminée ou lorsque l’avocat en a été déchargé. Cette restitution forcée des pièces accompagnant généralement un litige sur le montant des honoraires.
Le règlement intérieur national (RIN) français reprend certaines foncions dévolues au bâtonnier et y ajoute ce qui fait du bâtonnier le garant de l’Ordre au détriment du Conseil de l’Ordre. La facilité prévaut sur la démocratie. « sauf accord du bâtonnier, l’avocat qui accepte de succéder à un confrère ne peut défendre les intérêts d’un client contre son prédécesseur « (RIN, article 9- 3 )
Les différends entre collaborateur libéral et « patron »doivent être soumis au préalable à la conciliation du bâtonnier .En cas d’échec de la conciliation, le bâtonnier doit recommander aux adversaires de recourir à un arbitre qui ne pourra pas être le bâtonnier.
- Le contrat de collaboration libérale ou la convention d’honoraire peut contenir une clause compromissoire et designer ainsi comme arbitre le bâtonnier.
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Le bâtonnier peut autoriser un avocat honoraire à consulter et à rédiger les actes, le cumul de plus d’un contrat de collaboration libérale après avoir recueilli toutes les garanties sur les conditions d’exercice ,d’indépendance et de confidentialité.
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En cas de conflit entre les avocats des barreaux différents, si les bâtonniers respectifs ne peuvent se mettre d’accord sur un avis, il désigne un troisième bâtonnier pour former un collège.
CONCLUSION
Assurer les bons offices, conseiller, admonester, arbitrer sont de la nature de la fonction de bâtonnier à qui les lois et règlements confèrent à certains égards d’énormes pouvoirs.
Cette mission de prévention, de conciliation, d’arbitrage et d’apaisement fait dire parfois que le bâtonnier remplit une fonction paternelle. L’autorité qu’il exerce sur les avocats et le prestige de son titre à l’égard des tiers devrait l’y aider.
Fait à Yaoundé le 05 décembre 2016