Les modes alternatifs de règlement des conflits
Les modes alternatifs de règlement des conflits.
Source: JuriAfrique 23 Juillet 2017,

Avant-propos

Depuis quelques décennies, les modes amiables de résolution des différends (MARD) ou des conflits (MARC) ou de litiges (MARL) occupent de la place, hantent les esprits et l’activité de médiation en particulier apparait être un « marché à prendre ». C’est pourquoi de plus en plus d’avocats se sont formés et se forment encore pour devenir de légitimes acteurs de la résolution des conflits à l’amiable.

Dès l’abord, il convient d’indiquer que les causes des conflits sont multiples et le contentieux n’est qu’un aspect de son traitement par le biais du droit et du juridique.

On le sait, l’avocat prend parti pour celui qu’il défend. La loi est sa force et il use de sa capacité à l’interpréter pour tenter d’aboutir. Les prismes du juriste et de l’avocat sont orientés, de par leurs formations et leurs expériences, vers des solutions juridiques voire judiciaires.

Dans sa thèse, Adrian BORBELY, spécialiste de certaines pratiques anglo-saxonnes, démontre qu’il existe un fort décalage entre l’intérêt que l’on porte à la médiation et l’usage rare qu’en font les entreprises françaises ou du système du droit continental ou romano germanique de façon générale. Il s’appuie sur la distinction entre « litige » et « conflit » pour arguer que le juriste français n’est spécialiste que du litige et non du conflit circonscrit à son aspect purement juridique et contentieux.

Selon cet auteur, il s’agit de : « (. . .) la simplification du confit visant à permettre son traitement par le syllogisme juridique : les faits sont traduits en termes juridiques afin d’en constituer la mineure et être placés dans la perspective de la majeure, textes et jurisprudences et principes de droit que l’on entend faire appliquer » (« L’impact des gestionnaires sur le recours aux modes négociés de résolution des litiges » thèse soutenue à l’Essec en décembre 2012 et articles parus en 2014 ; comprendre la médiation interentreprises et la lenteur de son développement en France », in Béatrice BOLOHOM – BRENNEUR et Paola CECCHI DIMEGLIO (eds), Regards croisés sur les modes alternatifs de règlement des conflits, Bruxelles, Larcier – Bruylant) .

Or, la médiation en l’occurrence est à l’heure actuelle présentée comme un mode de résolution des conflits et non pas des litiges. Les avocats, sommes me s’emblent – il davantage habitués et formés à résoudre les litiges. Ceci explique peut – être cela, à savoir que ces deux professions croient faire le même travail alors qu’elles n’ont pas le même objectif. Régler le conflit et / ou résoudre le litige (aspect multidimensionnel du confit chez le médiateur-Formation centrée sur les techniques du droit et du contentieux).

Peu ou pas formés à la négociation de surcroit, les avocats même quand ils transigent le font de façon traditionnelle, « génétique » en quelque sorte, en apprenant sur le tas et selon leurs personnalités, leurs cultures, leurs milieux d’origine etc. Ils sont peu familiers aux notions d’intérêts, des besoins, de préoccupations, de motivations, de valeurs sous – jacentes à la pratique de la négociation dite raisonnée. La majorité au sein du corps manque de flexibilité, de pragmatisme et d’adaptation aux nouvelles situations, exception faite des avocats (sans robe) d’affaires dont la spontanéité à proposer à leurs clients le recours à la médiation n’a d’égale que leur vocation professionnelle à accompagner l’évolution des sociétés et leurs changements, dans le respect de leur éthique qui les hisse vers des valeurs subliminales.

A cet égard, l’apport d’autres domaines de connaissance (gestion, sociologie, psychologie) est indispensable car les avocats, généralement peu enclins à des remises en question de leurs savoirs, doivent pourtant être capables de discuter des enjeux psychologiques et économiques du conflit, tant avec leur client qu’avec leur contradicteur.

Il y a à se demander s’il n’est pas temps, au regard de l’évolution des métiers du droit, de revisiter les contenus des formations juridiques.

  1. Marc : Genèse et évolution

Notre exposé portera sur la genèse et l’évolution de MARC (I), les enjeux (II) qu’ils présentent aujourd’hui et enfin la place de l’avocat (III) dans ce nouveau marché.

  1. Genèse

Sylvie Adijès et Hélène Lesser, dans leur ouvrage, Médiateurs et avocats, Ennemis ? Alliés ? Paru en 2014, éd Médias et Médiations, écrivent « l’agression physique est un héritage de notre nature animale. Chez certaines espèces, elle est ritualisée : un échange de coups permet vite aux deux protagonistes de se situer l’un par rapport à l’autre et le plus faible s’empresse de prendre la fuite ou de marquer sa soumission. Les conflits au sein d’une même espèce ne débouchent pratiquement jamais sur la mort, car il existe une inhibition naturelle chez l’homme. Cette disposition inhibitrice a subi quelques évolutions, la plus notable étant que les conflits aboutissent parfois au meurtre ! Cependant, à mesure que se sont édifiées les civilisations, est devenu souvent admis que la force physique n’était le meilleur voir texte reconnu comme le plus expéditif. L’intercession d’un tiers remonte donc à une période très reculée ; plusieurs natures de tiers sont apparues. Soit l’on s’en remet à l’expertise de celui qui saura défendre son droit ou son point de vue : ce fut le rôle des avocats. La fonction d’avocat, existant depuis l’antiquité, fut toujours liée à la notion de représentation des intérêts des parties. Cette profession, au long de l’histoire, s’est organisée et légitimée grâce à la prestation de serment. L’avocat prenant parti pour celui qu’il défend, ayant la loi pour force et boussole, usant de sa science pour l’interpréter.

Par ailleurs l’histoire enseigne le relai assuré par les tiers, contribuant à une sorte d’harmonie, de paix sociale. Ce fut un temps le rôle de prêtre ou du sorcier de régler le conflit, parfois d’ailleurs en participant à l’anéantissement physique de l’une des parties. Ce fut aussi celui du sage, ancêtre du médiateur. Saint Louis invitait déjà les parties au dialogue avant de rendre la justice.

Cette fonction plus ancienne que celle de l’avocat s’est imposée dans la société grâce à son art d’intercéder auprès des personnes et de les mettre en présence. De nos jours, cette profession quoiqu’encore peu structurée, s’est diversifiée en de nombreux champs d’exercice (médiation conventionnelle, judiciaire, économique, civile, citoyenne, écologique, environnementale, institutionnelle, sociale, dans les professions ordinales etc).

Elle tient à ce que la vie quotidienne du citoyen est plus que jamais sa vie au quotidien. Il n’accepte pas de la galvauder et veut d’elle qu’elle réponde sans faillir à ce qu’il est en droit d’en attendre. En clair, le citoyen d’aujourd’hui accepte moins l’autorité attachée aux fonctions régaliennes de l’Etat ; dans cette recherche d’équilibre il veut de la rapidité, de la qualité, mais aussi être « au centre des affaires qui le concernent ».

Les exigences d’équilibre dans tous les secteurs de la vie sociale, en permettant aux protagonistes de demeurer au centre des solutions, montrent les limites de réponses traditionnelles. Elles ouvrent la voie aux modes amiables ou alternatifs de règlement dont l’extrême développement procède de l’opportunité rencontre entre les nouvelles exigences en matière de justice du citoyen aujourd’hui et ses mécanismes de fonctionnement.

Ces modes, il convient de le préciser, offrent une sphère de confidentialité et de confiance particulière qui permettent aux justiciables, aux entreprises de négocier et de trouver, par eux ou elles-mêmes, une solution mutuellement acceptable à leur différend.

  1. Brèves indications sur l’évolution des Marc

D’innombrables manières collectives de faire la paix, de réguler les tensions au sein de la communauté, de la société ont existé et existent encore : vengeance privée (loi du talion) rituel de désignation des responsables, cérémonies de réparation aujourd’hui plus au moins rationalisées, diplomatie etc.

De même, les pratiques de résolution amiable des différends, entendues comme des processus de pacification et de régulation sans recours au juge, ont toujours existé. Le conflit étant consubstantiel à l’interaction humaine, des moyens de le dissoudre ont dû être mis en place, pour éviter une société dans laquelle « l’un veut plaider toujours l’autre toujours juger ».

Dans leur œuvre collective, intitulée Guide des modes amiables de résolution des différends (MARD), Dalloz, 2014 – 2015, P.2 les auteurs écrivent que « les démocraties modernes ont hiérarchisé les modes de régulation des conflits, en les fondant sur la prééminence du droit. Le procès équitable est considéré comme le mode idéal de régulation parce qu’il assure la protection des droits et libertés fondamentales des personnes, ainsi que la pérennité des valeurs démocratiques. Le juge est l’ultime garant du droit, des droits subjectifs et de la démocratie (. . .) ».

Mais les pratiques amiables, que les sociologues qualifient d’infra – droit, de droit vivant ou vulgaire et spontané (lire AJ Arnand, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2ème éd., LGDJ, 1993) ont subsisté, assurant une régulation fondée sur des usages professionnels, des coutumes. C’est à partir de 1970 que ces modes alternatifs ou amiables de résolution des conflits, non institutionnels, se sont manifestés, en réaction aux inconvénients du système judiciaire – traditionnel convient – il d’ajouter – sous des formes extrêmement diversifiées : conciliation, médiations diverses, services après – vente des professionnels etc.

La mondialisation des échanges, la migration des modèles, l’internationalisation des questions juridiques auront été en grande partie les facteurs déterminant de l’intégration, dans le système du droit continental particulièrement français, des modes amiables dans le corpus juridique. A cet égard, est indéniable l’influence des pratiques étrangères, des ADR (alternative dispute résolution) développées aux Etats – unis et au Canada.

Il convient de signaler ici que l’Union Européenne par exemple considère la médiation comme un outil de performance et de sécurité des échanges : la transposition de la Directive (CE) no 2008/52 du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation civile et commerciale a conduit à l’intégration dans le code de procédure civile Français d’un corps cohérent de règles pour les « modes amiables de résolution des différends (MARD), officialisant ainsi un autre référentiel de résolution des conflits, aux côtés du procès traditionnel.

Visiblement se construit un véritable droit collaboratif ou participatif qui consacre la tendance à une déjudiciarisation des différends pour une judiciarisation des modes alternatifs de leurs règlements et dont le développement fulgurant n’est pas dénué d’enjeu.

  1. Justifications et enjeux des Marc (Mard, Marl)

Bon nombre de raisons motivent le développement des MARC. Trois peuvent être mises en exergue à savoir des raisons économiques et de bonne gouvernance des Etats, des raisons tenant à la métamorphose des régulations politiques et enfin des raisons tenant aux avantages de la contractualisation de la résolution du différend (lire, Guide des modes amiables de résolution des différends (MARD). Op – cit).

  1. Au plan macroéconomique

La bonne gestion des deniers publics est devenue une exigence incontournable et un objectif de la bonne gouvernance globale de l’Etat. L’évitement du juge, hélas, permet de réduire les coûts publics de la résolution des conflits.

Il s’agirait de décharger la justice de son lourd fardeau, de maitriser la gestion des flux, de diminuer les coûts, d’accroître la capacité productive des justiciables, qui entendent obtenir des décisions de qualité dans des délais raisonnables, rendues par des tribunaux respectueux du procès équitable.

En effet, des études ont démontré que le recours aux MARD permet aux Etats de réaliser d’importantes économies sur le budget de fonctionnement de la justice.

Selon cette approche macroéconomique, les MARD opèrent un transfert des charges au détriment du citoyen, mais ils sont globalement moins couteux pour les parties, si on prend en considération le coût social et psychologique des procédures et si on intègre le fait que les intéressés maîtrisent la durée du processus, et que l’aléa judiciaire disparait puisque la solution est négociée.

  1. Des raisons philosophiques et idéologiques

L’idée de privilégier les solutions amiables correspond à une nouvelle conception de la production normative. Le citoyen entend participer à la production de normes auxquelles il se soumet dans le cadre d’une justice participative or, la solution amiable est contractualisé, et les « conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites », dit la règle.

Constatant l’échec de l’Etat et du marché comme régulateur des relations, des citoyens souhaitent organiser la résolution de leurs différends par eux-mêmes (rhétorique de la proximité), les acteurs sociaux entendent être associés à la conception et à l’application des normes (rhétorique du partenariat). Comme l’écrit D. Schnapper, dans la démocratie providentielle, essai sur l’égalité contemporaine, Gallimard, 2002, « l’individu démocratique tolère mal les limites et les contraintes que lui imposent les institutions » et « l’homo démocratie tend à penser qu’il ne peut être représenté que par lui-même ». Un lien doit être établi entre la promotion d’une démocratie participative et l’essor des MARD, qui sont fondés sur les principes d’une participation directe et d’une responsabilisation de chacun dans la résolution de ses propres conflits (empowerment anglo-saxon).

  1. Avantages de la contractualisation de la solution

Honoré de BALZAC écrivait déjà qu’un « mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès », ajoutant que « la plus mauvaise transaction (. . .) est meilleure que le meilleur procès », et Alfred Fouillée affirmait : « qui dit contractuel dit juste ». Il s’avère qu’une solution fondée sur la liberté contractuelle, l’autonomie des parties, et la responsabilisation corrélative des partenaires est souvent préférable à un jugement imposé, dont on ne maitrise par ailleurs pas le processus depuis la saisine jusqu’au prononcé sans compter les écueils et autres incidents qui peuvent émailler son exécution et la fracture que telle décision provoque.

Il appert que le processus amiable permet de résoudre le conflit sous tous ses aspects, y compris les aspects psychologiques, humains, relationnels. Il autorise des solutions innovantes, adaptées, que l’application rigoureuse du droit ne permet pas.

Il permet l’émergence d’une justice « thérapeutique, résolutive de problèmes, qui consiste à associer étroitement les intéressés à la solution et surtout à s’intéresser à l’impact de la solution sur la satisfaction et le bien être des intéressés.

Comme l’on peut s’en rendre compte, il s’agit d’un vaste marché mais concurrentiel sur lequel les avocats vont se trouver avec les compagnies de protection juridique, les notaires, les experts comptables et diverses officines de médiation.

III. L’avocat et les Marc

L’on sait aujourd’hui que plusieurs pratiques et « réformes » notamment des professions réglementées dans l’espace romano germanique visent la profession d’avocat.

En effet, l’ouverture à la concurrence de notre profession (dont le monopole est perçu comme un privilège qui ne tient plus) est une réalité qui s’impose aujourd’hui sous diverses pressions notamment de l’« économique », de l’immédiateté.

Il reste aux avocats à investir ce marché pour lequel ils sont attaquement formés et les mieux armés, avec les magistrats, pour parvenir à une résolution des différends.

Les avocats ont un atout essentiel à faire valoir qui est celui du critère qualitatif qui résulte de leur formation théorique et pratique. Il est certain que sur le plan du coût, les avocats ne pourront concurrencer, à armes égales, des offices commerciales qui ne manqueront pas d’axer leur communication sur le coût de la solution qui, il faut le dire, ne peut se faire qu’au préjudice de la qualité.

Enfin, viendrait-il à l’idée à un patient de se faire opérer à cœur ouvert par une profession paramédicale, sous prétexte d’économies, écrivait le Bâtonnier Roland GRAS, dans le journal des Bâtonniers et des ordres, no 20, juillet – Août – Septembre 2014, P. 17.

Qui, aujourd’hui, à part l’avocat offre à la fois une formation universitaire de haut niveau, une expérience professionnelle axée vers le conseil et la solution du conflit, le secret professionnel, une totale indépendance.

Conclusion

Le paysage actuel des modes amiables de résolution des différends est extrêmement diversifié et la vitesse de leur développement est exponentielle. Divers rapports, notamment en France (Rapport du conseil d’Etat du 29 juillet 2010, Rapport DELMAS- GOYON consacré au juge du XXI ème siècle, 2013 le livre blanc « Justice du 21ème siècle » contenant les propositions du Conseil National des Barreaux, CNB) recommandent le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges qui peuvent fournir des solutions extrajudiciaires qui permettent de gagner sur les aléas, les délais, les coûts d’un procès.

Néanmoins, l’histoire nous enseigne que le traitement alternatif d’un litige par une procédure de règlement amiable, qu’elle s’appelle conciliation, arbitrage, transaction, médiation, MARC, MARL, RARD, RAC n’a jamais résolu la totalité des litiges, outre l’exacerbation de l’individualisme post moderne qui place l’individu au centre de la régulation sociale et devient la mesure de toute chose.

Les reproches à faire à ces processus amiables rendent nécessaires leur encadrement par des principes fondamentaux et que les médiateurs en l’occurrence soient soumis à une déontologie rigoureuse.

De toute évidence, la médiation réalisée par des professionnels compétents et indépendants sous contrôle du juge qui est seul à offrir les garanties d’indépendance et de compétence que tout justiciable est en droit d’attendre.

En tout état de cause, ces modes constituent une modalité possible et un nouveau « marché » pour les avocats, dont la profession hier ne ressemble guère à celle d’aujourd’hui et sera encore différente demain.

L’essentiel est qu’elle demeure présente pour assurer le conseil et la défense avec indépendance.