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LA DOMICILIATION DE L’AVOCAT DANS L’ESPACE OHADA Par Bâtonnier KAYUDI MISAMU Cc
INTRODUCTION
16 Etats Africains ont, en 1993, conclu un traité dit de l’OHADA, afin de simplifier et uniformiser leur droit des affaires. En 2012, un Etat a adhéré à l’organisation, la République Démocratique du Congo, portant désormais ce nombre à 17.
L’unification normative à travers les actes uniformes s’est accompagnée d’une harmonisation juridictionnelle que d’aucun, ont désigné sous le concept de supranationalité judiciaire au sens qu’est reconnu à la seule Cour communautaire à savoir la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, CCJA en Sigle, la compétence du contentieux de cassation, laissant aux juridictions nationales de fond de statuer en premier et en deuxième ressort.
Si le dessaisissement du juge national d’une compétence prétorienne, souveraine sur des matières relevant traditionnellement de sa compétence a soulevé et soulevé encore de nombreuses controverses, si tant est que cela apparait comme un double abandon d’abord de la souveraineté législative dans le domaine du « droit des affaires » et ensuite de la souveraineté judiciaire, il reste que la CCJA exerce tant le pouvoir d’interprétation des normes communautaires que le pouvoir de cassation sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions nationales de fond.
Il suit dès lors que l’avocat en charge des intérêts des clients dont la défense nécessite la saisine de la CCJA se doit de se plier aux dispositions contraignantes du traité de Port-Louis attributives de compétence à la CCJA qu’au règlement de procédure de celle-ci.
- ETAT DE LA QUESTION
Aux termes de l’article 28(3°) du règlement de procédure de la CCJA, lorsque celle-ci est saisie par l’une des parties à l’instance par la voie de recours en cassation, le recourant (demandeur), sauf s’il choisit de recevoir les significations par courrier électronique, doit, aux fins de la procédure, élire domicile au lieu où la cour a son siège, (Abidjan en Côte-d’Ivoire).
Cette élection de domicile doit se faire, au choix du demandeur au pourvoi, à une adresse physique dans la ville d’Abidjan. La procédure devant la CCJA étant essentiellement écrite aux termes de l’article 34 du règlement précité, une affaire peut, en effet, être vidée par la Cour sans de débat si aucune des parties n’en a pas exprimé la demande.
Le caractère essentiellement écrit de la procédure témoigne de l’intérêt et de l’importance d’une élection de domicile au lieu du siège de la Cour. Mais davantage, un besoin tant pour les entreprises de l’espace Ohada qui ne sont pas basées en Côte-d’Ivoire (pays d’accueil de la CCJA) que des professionnels de droit, les avocats en particulier, qui souhaitent mieux saisir et suivre leur procédure à la CCJA.
Il tombe ainsi sous les sens que pour assurer un meilleur suivi des procédures et faire les diligences nécessaires auprès de la Cour, se pose un certain nombre de problématiques liées à l’exercice de la profession en dehors de son ressort territorial et professionnel.
En effet l’on peut légitimement se poser la question notamment du régime sous lequel l’avocat circule librement, s’établit à titre temporaire ou permanent, la déontologie applicable en l’occurrence si tant est que les règles professionnelles de différents Barreaux peuvent se révéler incompatibles dans des situations où des conflits peuvent survenir.
Des éléments de réponse peuvent être rapidement trouvés pour les avocats appartenant en même temps aux espaces Ohada et UEMOA (Union Economique et Monétaires Ouest Africaine) qui exercent sous le règlement n°05/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA, entré en vigueur le 1 er janvier 2005.
Force est cependant de relever que l’organisation et le fonctionnement de bien des Barreaux appartenant à l’espace Ohada relèvent des législations nationales propres. (Cameroun, RDC, Congo-Brazzaville, etc.)
Cette disparité rend plus que nécessaire la réflexion autour de cette sorte de migration professionnelle qui ne manque pas de soulever des problèmes d’ordre pratique et déontologique.
- RAPPEL DE QUELQUES PRINCIPES
La courtoisie veut que lorsqu’un avocat plaide devant un Tribunal extérieur, il rende une visite dite de courtoisie ou d’usage au bâtonnier et au confrère plaidant pour la partie adverse, ainsi qu’au chef de la juridiction et au représentant du Ministère Public.
Cet usage est devenue règle sous certains cieux (RIN en France, art 78 RIC des Barreaux de la RDC, 42 Règlement UEMOA), un devoir de l’avocat vis -à vis des autorités de l’ordre. Si l’avocat omet cette visite d’usage au bâtonnier et que rappelé à ce devoir, il se montre désagréable, il peut en courir des sanctions professionnelles.
Car en effet, c’est au chef de l’ordre que l’avocat fera appel en cas de difficulté ou d’incident au cours de l’exercice local de sa profession.
Bien plus, sied –t-il de rappeler aussi, que les principes essentiels de la profession d’avocat restent le socle sur lequel doit s’apprécier le comportement de l’avocat (secret professionnel, absence de conflit d’intérêts, confraternité, loyauté, probité, dignité, délicatesse, diligence etc.)
Il n’en demeure pas moins que des différends peuvent survenir entre avocat des Barreaux différents à l’occasion de l’exercice de leur ministère devant la Cour. Il convient dès lors d’envisager des pistes de solution à leur règlement.
III. DES PRINCIPES DE SOLUTIONS AU REGLEMENT DES DIFFERENDS (INTER BARREAUX)
Les disparités, voire les contradictions entre les règlements intérieurs ou des interprétations divergentes des règles régissant la profession peuvent donner lieu, à l’occasion de l’exercice professionnel, à des difficultés.
A premier vue, risque de s’appliquer la règle dite de la « double déontologie » au sens que les avocats, appelés à exercer leur ministère devant la Cour, seront soumis à deux codes de déontologie à la fois, celui de leur pays d’origine et celui du pays d’accueil, dans toutes les activités qu’ils mènent ou se doivent de mener dans cet Etat.
A cet égard, l’interprétation adoptée par le CCBE de cette disposition, au regard des articles 6 de la directive établissement et l’article 4 de la directive services, est intéressante.
Article 6
« Un avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine reste soumis aux règles professionnelles déontologiques de son Etat d’origine uniquement dans la mesure où elles ne sont pas explicitement ou implicitement incompatibles avec les règles professionnelles et déontologiques de l’Etat d’accueil. En cas de conflit de règles, les règles de l’Etat d’accueil prévalent sur les règles de l’Etat d’origine ».
Article 4
En ce qui concerne la représentation des clients dans des procédures judiciaires, conformément à l’article 4(1), l’avocat exerce ces activités « dans les conditions prévues » pour les avocats établis dans l’Etat membre d’accueil. Les « conditions prévues pour les avocats établis » dans le pays d’accueil pour l’exercice de cette représentation comportent des règles professionnelles spécifiques liées aux procédures dans certaines juridictions. Des règles considérées comme règles de procédure civile ou pénale dans un Etat membre peuvent être considérées comme règles de conduite professionnelle dans un autre. Les avocats offrant des services temporaires doivent respecter les règles, qu’elles soient qualifiées de règles de conduite professionnelle ou règle de procédure.
L’article 4(2) prévoit que « dans l’exercice de ces activités, l’avocat respecte les règles professionnelles de l’Etat membre d’accueil, sans préjudice des obligations qui lui incombent dans l’Etat membre de provenance ».
Bien plus, il est posé le principe suivant lequel les règles de l’Etat d’accueil prévalent sur les règles de l’Etat d’origine, en cas de conflit des règles.
De telles situations peuvent se produire si par exemple les règles professionnelles d’autres Etats membres viennent à subir des modifications substantielles (suppression de l’interdiction du pacte quota litis ou de s’adresser directement au client de son adversaire). Lorsqu’un groupe d’avocats des différentes juridictions gère le dossier d’un client, les règles nationales en matière de conflit d’intérêts peuvent varier d’une juridiction à l’autre.
Ces développements soulèvent une autre question à savoir si la double déontologie implique qu’un avocat établi dans un Etat membre d’accueil est passible des sanctions disciplinaires de deux Barreaux différents (du Barreau d’origine et celui d’accueil) pour le même incident.
Le règlement UEMOA est muet sauf qu’il assigne compétence à chaque Barreau organisé en ordre au sein des Etats. L’avocat établi est soumis à la règlementation du Barreau du lieu. Les avocats rendant des services temporaires, comme en cas de domiciliation, ne sont pas membres du Barreau de l’Etat d’accueil. Le fait que les avocats soient néanmoins soumis aux sanctions disciplinaires d’un Barreau d’Etat membre dépend de la législation de l’Etat d’accueil qui peut réserver à celui-ci cette compétence. Au niveau du CCBE il est prévu ce qui suit : « en cas de manquement aux obligations en vigueur dans l’Etat d’accueil, prévues à l’article 4, l’autorité compétente de ce dernier en détermine les conséquences suivant ses propres règles de droit et de procédure (…) » (lire guide du CCBE à l’intention des Barreaux sur la libre circulation des avocats dans l’Union Européenne, https://www.ccbe.eu).
L’on ne peut enfin perdre de vue la question première que soulève la migration professionnelle, celle de la circulation (libre) dans l’espace Ohada qui non seulement pose des réels problèmes en terme physique mais surtout pourrait se révéler comme un frein à la mission juridictionnelle de l’avocat (formalités d’immigration, cout du transport, de l’hébergement ou de la domiciliation, etc.
CONCLUSION
Loin d’être une simple question d’adresse physique ou professionnelle, la domiciliation de l’avocat dans l’espace Ohada en l’occurrence relève la nécessité d’améliorer les instruments juridiques sous-tendent l’activité de l’avocat en particulier devant la CCJA à savoir le règlement de procédure.
Cette réflexion a amener à plus des coopérations entre Barreaux des Etats parties à l’Ohada afin de définir les règles de circulation dans l’espace qui puissent coopérations entre Barreaux des Etats parties à l’Ohada afin de définir les règles de circulation dans l’espace d’une part et d’autre part limiter autant que possible l’application de la double déontologie en arrentant un vade mecum de l’avocat exerçant dans l’espace.
A cet égard, sont fort louables les initiatives de la conférence des bâtonniers des Etats parties de l’Ohada, crée courant décembre 2015 à Cotonou et à ce jour, admise au statut d’observateur au sein de l’organe exécutif de l’organisation, le conseil des ministres.
Enfin, il y a lieu de plaider en faveur d’une dématérialisation totale de la procédure, pour juguler les aléas et diverses contraintes qu’imposent, à n’en point douter, la domiciliation. Ce sera la prochaine étape, j’ose espérer.
Fait à Kinshasa, le 14/10/2017
Bâtonnier KAYUDI MISAMU